Disparition de Pema Tseden

Pema Tseden

པད་མ་ཚེ་བརྟན

(1969-2023)

La nouvelle de la disparition soudaine de Pema Tseden nous est parvenue ce lundi 8 mai. Le réalisateur tibétain de premier plan serait décédé à Lhasa à la suite d’un arrêt cardiaque, provoqué par le « mal de l’altitude » (« le poison des cols », selon l’expression tibétaine), selon le Tibet Times, journal indépendant publié en exil. Pema Tseden avait 53 ans, un film en post-production appelé « Léopard des neiges » (tib. : gsa’), et un autre en fin de tournage, « L’inconnu » (tib. : mi cha med). Le cinéaste, également écrivain et traducteur, était par ailleurs bien connu des tibétologues français : il était souvent venu en France où la SFEMT avait projeté en sa présence son film « The Search » en 2012 (https://www.sfemt.fr/projection-de-film-the-search-de-pema-tseden/) et nous l’avions honoré plusieurs fois lors de ses passages à Paris.  Il avait été invité à prononcer un discours lors de la séance plénière de la conférence internationale des études tibétaines (IATS) à Paris.  

Pema Tseden a eu le temps de réaliser huit films, dont plusieurs ont reçu un accueil extrêmement favorable parmi les cinéphiles et les spécialistes de cinéma, mais également dans les festivals internationaux (il a été primé plusieurs fois à La Mostra de Venise et au Festival International des Cinémas d’Asie de Vesoul).  

En quelque sorte, son parcours relevait du miracle : par sa détermination, sa sensibilité et son intelligence, Pema Tseden avait réussi contre toute attente et sans soutien institutionnel ou financier à établir les fondations d’un cinéma tibétain en République populaire de Chine, après des décennies de monopolisation de la représentation cinématographique du Tibet par la Chine – et par l’Occident, à l’exception du cinéma en exil de Tenzing Sonam et Ritu Sarin, qui lui ont d’ailleurs rendu un vibrant hommage.

Dans un contexte général de dépossession, Pema Tseden avait réussi à imposer la langue tibétaine dans ses films, ce qui n’était pas une mince affaire en République populaire de Chine. Il avait façonné par ailleurs une esthétique sobre mais très originale, inspirée par Kiarostami et Bergman, où les humains étaient au centre, loin du spectaculaire si souvent associé au Tibet quand il est filmé par « les autres », d’où qu’ils viennent. Pema Tseden était par ailleurs timide, réservé et aussi drôle, apprécié de tous pour sa sincérité, son exigence et la qualité de son travail. S’il était un chef de file et un mentor, il n’était pas seul, et l’histoire du cinéma tibétain qui est encore courte est avant tout une histoire collective. Il y avait peu de place pour l’ambition personnelle dans un monde où tout était à construire et où l’adversité permanente dans laquelle vivent les Tibétains était parvenue à les souder autour de projets et de représentations qui défiaient l’ordre établi, en toute tranquillité et sans éclat. Il était même dernièrement devenu un mentor pour les jeunes réalisateurs chinois en Chine, dont il avait commencé à produire à son tour plusieurs films. Pema Tseden avait donc réussi l’improbable exploit de fédérer les Tibétains, fiers de ses réussites internationales même si tous ne comprenaient pas ou n’appréciaient pas toujours ses films taillés pour les cercles art et essai, les artistes chinois, et les Occidentaux cinéphiles. C’était peut-être la première et seule figure artistique tibétaine à avoir percé jusqu’en Occident et en Chine, toujours dans la dignité et sans compromis. Nous n’avons plus qu’à espérer que les nombreux jeunes Tibétains qu’il a formés si généreusement prendront la relève et se montreront dignes de l’espoir qu’il avait mis en eux, à un moment crucial et très délicat pour le Tibet, sa langue et sa civilisation. La SFEMT lui rend ainsi un dernier hommage.

Photos et texte de Françoise Robin

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